28

March

2024

Avoir peur, ça me réveille

Interview — Louis Lepron

Film et photographie Emmanuel Giraud

Ever: Après plus de 10 ans de carrière, qu’est-ce que tu aimes toujours autant dans le fait de jouer ?

Stacy: Ce que j’aime par-dessus tout, c’est le fait d’être sur le plateau. Après tout ce qui entoure la sortie du film, évidemment j’en suis fier, mais avant tout parce que c’est un travail d’équipe. Je vois les acteurs, la lumière, l’image, et je ressens tout cela dans le film final. En tant qu’acteur, t’arrives comme dans un sandwich : t’as pas de contrôle sur la production avant, le montage, etc.. Tu dois faire confiance aux gens avec qui tu travailles, c’est ça qui peut être à la fois frustrant et aussi magique, tu te laisses complètement à l’abandon. Tu vois le film et c’est une surprise : tu réalises que tes instincts et tes envies se réalisent de manière très visuelle, auditive, et ça c’est chouette.

 

Ever: Le plus grand plaisir, c’est ce lâcher prise ?

Stacy: Oui, et c’est assez bizarre parce qu’en même temps, sur mes journées de travail, je n’ai aucune liberté, tout est hyper contrôlé. On connaît les scènes, on sait à quelle heure on mange, on nous dit qu’on a le droit de prendre 5 minutes pour aller aux toilettes : tout est intense. Mais dans ce contrôle là, il y a aussi une liberté, le lâcher prise nous permet d’être “soutenu”. Comme les gens qui sont aux cirques et qui réalisent des acrobaties, ils ont toujours un filet. C’est vraiment avoir un filet qui te permet de faire des pirouettes (rires).

 

 

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Ever: Ce serait quoi le film dans lequel tu as eu le plus de liberté ?

Stacy: J'ai eu beaucoup de liberté sur Les joueurs de Marie Monge avec Tahar Rahim. C’est un film où elle nous a donné une immense liberté, et Tahar, c’est un acteur qui adore improviser et essayer de nouvelles choses dans chaque scène. Il improvise dans l’action. Ça nous a aussi permis de dépasser l’histoire, de trouver de nouvelles choses et de lâcher cette idée de réussite et de perfection. Et des fois on rate, mais c’est aussi la beauté de permettre de se rater, et de se dire qu’on a essayé.

 

Ever: Est-ce que tu as parfois des regrets en lien avec un tournage ?

Stacy: Des fois j’ai des frustrations par manque de temps, peut être que l’autre acteur était stressé ou que quelque chose est arrivé. On n’a pas réussi à avoir ce que j’imaginais. Mais ensuite je me dis : “Mais qu’est-ce que j’imaginais en fait ?”. Parce que le cinéma est défini par des circonstances externes, même si on a des envies de direction, au bout d’un moment il faut que ça existe, avec un texte, un acteur, une lumière et un environnement. C’est plus moi dans mon insécurité, parce qu’on veut que ce soit parfait et qu’on ne veut pas décevoir les autres. Avec Le Molière imaginaire, les acteurs se connaissaient parfaitement, avec des automatismes. Et pendant les répétitions, il fallait qu’on répète pour obtenir ce côté théâtral, qui m’a intimidé et en même temps exalté. Et je me suis dit : “Mais quelle joie de jouer avec ces gens-là”. Je me suis dit qu’il ne fallait pas les décevoir, pour être à leur hauteur. On se crée du stress, en se comparant tout le temps.

 

Ever: Tu essayes d’imaginer le plus possible comment va se dérouler le tournage ?

Stacy: Quand on était au bac, on était assis au bureau et on avait la feuille retournée, et les 3 minutes avant de la retourner, c’était horrible. Tu retournes le papier, et tout va bien, t’es occupé, t’es dans l’action. Dans l’attente, tout peut être un désastre. Une semaine avant de partir en tournage, je me ferme complètement alors qu'une fois que j’arrive, que les répétitions se mettent en place, ça va très bien. L’avant, c’est stressant. Après, c’est une appréhension qui est nécessaire, une adrénaline qui fait qu’on a envie d’y être, c’est quelque chose qui compte pour nous. Si on s’en foutait, que je n’étais pas heureuse, que j’avais pas un minimum d’anxiété, je me dirais qu’il y a un problème. Ça nous donne un petit coup de peps. Avoir peur, ça me réveille.

 

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Ever: Est-ce que ta vision du cinéma, tes envies, ont évolué depuis ton premier film ?

Stacy: Mes envies, pas forcément, mais c’est surtout l’industrie du cinéma qui a évolué, avec l’arrivée des plateformes. Les séries sont devenues plus prisées, les acteurs qui disaient qu’ils ne feraient jamais de séries en font maintenant, avec un peu plus de liberté au niveau de la création. Après, j’arrive à un moment où, à l’âge de 33 ans, j’ai changé aussi. Je suis à un moment de ma vie où je n’ai plus envie des mêmes rôles. Je n’ai plus envie d’être la femme qui tombe amoureuse pour la première fois, et ça ça été un vrai changement de me dire que j’ai maintenant envie de jouer une mère, une policière. J’ai aussi l’impression qu’on nous met tellement dans un genre spécifique. Comme j’ai l’air jeune, j’ai encore des propositions de rôles de 18 ans. Émotionnellement et mentallement, ce n'est pas quelque chose que j’ai envie de faire. Il y a tellement plus de choses à créer, à faire. J’aimerais tellement avoir des rôles féminins qui sont un peu plus punk.

 

Ever: C’est marrant parce que ton premier rôle, c’était dans un film punk, Nymphomaniac.

Stacy: Peut-être que j’ai envie de revenir à ça (rires).

 

Ever: Ton prochain film avec Lars Von Trier !

Stacy: J’adorerais.

 

Ever: Donc tes envies ont quand même évolué au fil des années.

Stacy: Oui, et puis on a envie de changer aussi, mais on a la liberté, en tant qu’acteur, de jouer avec de nouveaux acteurs et de nouveaux cinéastes. J’arrive à tenir en faisant 3 films maximum par an, 3 plateaux différents, 3 langues différentes, alors qu’un cinéaste, c’est un film tous les 5 ans, dans une bataille de tous les instants.

 

 

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Ever: Réaliser, ça t’intéresserait ?

Stacy: On me pose beaucoup cette question, parce quand je suis beaucoup sur la réalisation, je regarde beaucoup les cinéastes et comment ils font. La dernière chose qui m’importe, c’est le jeu des acteurs. J’ai un tel amour pour le cinéma, que c’est quelque chose qui me fait peur, c’est tellement dur, il faut être tellement tenace et c’est vulnérable. En tant qu’acteur, je suis protégé, avec les mots de quelqu’un d’autre. Si c’est mon histoire, mon écriture, c’est moi à 100%. C’est jamais la faute des acteurs.

 

Ever: Comment est-ce tu interagis avec les réalisateurs ?

Stacy: Les réalisateurs, c’est aussi une relation particulière avec ses acteurs. Il faut apprendre à communiquer différemment avec d’autres gens. J’aime pas trop qu’on me parle trop sur un plateau par exemple, pendant 10 minutes, je comprends pas vraiment la direction, je deviens paumé. J’aime les choses tangibles. J’aime quand la discussion a eu lieu avant. Avec Lars c’était le cas, et sur le plateau, il me disait juste : “Là on a fait 100%, essayons 78”. Je ne sais pas ce que ça veut dire, mais à ce moment- là, je comprenais.

 

Ever: À quel point cette première expérience t’as défini ?

Stacy: Ça m’a défini très fortement en termes d’image, de cinéma dans lequel je me suis inscrite. J’appartiens à une bulle de cinéma qui est très particulière, et dans laquelle je rêvais d’être. Je ne m'en suis pas rendu compte tout de suite finalement, vu que j’étais focus sur le film.

 

Ever: Quand est-ce que tu prends du recul sur ce premier film ? Est-ce que tu mets en place une “stratégie” de carrière ?

Stacy: Le mot stratégie ne me dérange pas, parce que ça pose la question de comment on veut se définir artistiquement, au cinéma. Une stratégie c’est admettre ce qu’on a envie de faire, être ambitieux et c’est du courage aussi. C’est un métier où on est rejeté 70% du temps, pas parce qu’on est mauvais, mais parce qu’on ne colle pas avec le rôle. Il faut aussi admettre qu’on a des limitations et qu’on ne peut pas tout faire. Aussi, je veux pas qu’on me voit partout, tout le temps. J’ai un peu envie de rester un peu inconnue. En me voyant trop, les gens vont commencer à me “voir” et en avoir marre de moi. Il faut un peu de stratégie et c’est un métier qui demande beaucoup physiquement, et sur la vie personnelle. Je vois mes parents très rarement par exemple..

 

Je pense que j’ai changé d’ailleurs : avant le covid, je voyageais et travaillais énormément. Je faisais “tournage - presse - tournage - festival”. Le covid a tout arrêté et je me suis demandé ce que j’étais en train de faire. J’étais épuisée, je ne savais plus qui j’étais. Je me suis retrouvé dans un supermarché et j’ai fait une crise d’angoisse. Et comme je n’avais plus la structure d’un tournage, je ne savais plus quoi faire. J’avais même oublié mon portefeuille. J’étais tellement déconnectée de ma personne et de ma vie, ça m’a fait un énorme choc. Le covid m’a permis de faire un énorme “reset”. Ça ressemblait à un burnout. Maintenant je fais attention à mes amitiés, je voyage pour moi, sans que ce soit organisé avec du travail qui y soit attaché. J’ai besoin d’être moi-même, j’ai pris un chien et la simplicité de devoir s’en occuper m’a donné une responsabilité, de manière très simple.

 

 

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Ever: Par rapport à l’évolution de tes rôles, quel serait ton rôle idéal ?

Stacy: Il y a une pièce de théâtre de Tennessee Williams qui s’appelle Soudain l’été dernier, avec le rôle de Valerie Venable jouée par Katharine Hepburn qui est incroyable dedans. Là où on connait plus Un tramway nommé Désir ou La Chatte sur un toit brûlant, cette pièce m’a toujours fasciné, dans cette idée aussi de la jouer au théâtre avec toute la rigueur que cela demande.

 

Ever: Est-ce que tu as des rituels pour préparer tes rôles ?

Stacy: Je trouve toujours une sorte de processus. Ce n’est jamais le même, parce que chaque rôle demande quelque chose de différent. Pour Le Molière imaginaire, c’était des costumes incroyables, et ça demandait beaucoup de temps et de densité dans laquelle j’ai incorporé ma préparation. Ça m’a beaucoup aidé. Après il y a le côté psychologique : je fais toujours trois semaines toute seule en amont. Parfois on n’a pas le temps, mais pendant ces trois semaines, je lis énormément, c’est un travail inconscient pour assimiler des choses, pour trouver des répliques qui prennent du sens. On lit tellement qu’on apprend par défaut. Je déteste être obligée d’apprendre par cœur, ça m’angoisse. Là, je fais du “day dreaming”, cette idée d’une pensée constante dans la journée. Après ça peut aussi être un travail d’accent. On essaye aussi de savoir qu’est-ce qui peut affecter un personnage, comme un détective le ferait pour comprendre les motivations de la personne sur laquelle il enquête.

 

Ever: Pour finir, c’est quoi ton livre de chevet actuellement ?

Stacy: J’ai récemment lu un livre qui s’appelle Everything/Nothing/Someone: A Memoir, d'Alice Carrière. C’est une écrivaine qui a écrit une autobiographie très punk et très douce à la fois. Elle est tombée jeune dans l’addiction aux médicaments et elle décrit son parcours. C’est écrit de manière drôle et touchante, avec distance et sans être dans le pathos. Après il y a une trilogie de Tove Ditlevsen, une écrivaine danoise, entre biographie et fiction.. Elle écrit depuis toute jeune et on a l’impression de lire quelqu’un qui a cinq ans. Le ressenti qu’elle arrive à recréer est fascinant.

 

Ever: Et un film que tu as récemment découvert et aimé ?

Stacy: J’ai adoré La Zone d'intérêt. J’adore Jonathan Glazer, et j’ai trouvé que c’était un film touchant et perturbant. C’est un film très contemporain. Et Sandra Hüller, c’est la perfection. Et plus récemment, j’ai vu Dahomey de Mati Diop, c’est un chef-d’œuvre. C’est 70 minutes de génie qui racontent le trajet de pièces rapportées au Bénin via la France qui les a rendues.

 

Ever:  Enfin, un ou une artiste en musique ?

Stacy: En ce moment j’écoute “Escape (The Piña Colada Song)” de Rupert Holmes. C’est la feel good song ultime. Et aussi “Im on fire” de Bruce Springsteen. Les paroles sont inquiétantes mais c’est une super chanson (rires).

 

 

 

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Credits :


Styliste — Marie Cheiakh @siwarcheiakh
Maquillage  — Ismael Blancol @ismaelblancomakeup 
Coiffure — Ben Mignot @benmignot 
Manucure — Virginie Mataja @vmataj 

 

 

 

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