16

November

2023

La stratégie ne fonctionne jamais avec moi

Adèle Exarchopoulos

Interview — Louis Lepron

Film et photographie — Emmanuel Giraud

Depuis le 1er novembre sur Netflix dans Voleuses de Mélanie Laurent et bientôt à l’affiche du nouveau film de Gilles Lellouche, on a pris des nouvelles d'Adèle Exarchopoulos. Une rencontre qui a aussi permis de faire un bilan fugace de 10 années de carrière sacrément bien remplies. 


Ever : Qu’est-ce qui t’as plu lorsque tu as découvert le projet de Voleuses ?
Adèle : J’y ai trouvé un divertissement noble ainsi qu’un film d’action. C’est parti de là. Ensuite j’ai lu le scénario et vu qu’il y avait quelque chose de très nouveau pour moi au niveau du corps, quelque chose qui changeait un peu au regard de ma zone de confort. J’ai très vite accepté. Dans la foulée, on est parti en entrainement de tir et de cascade. Il y avait aussi le casting, que ce soit avec Mélanie Laurent ou Isabelle Adjani : c’était une somme d’ingrédients qui m’ont tout de suite séduits.


Ever : Au cours de ta carrière, ça t’es souvent arrivé de suivre des entraînements pour préparer un rôle ? 
Adèle : Jamais comme ça. Je n’avais jamais dû perdre du poids, m'entraîner ou me renforcer et c’était aussi la première fois que je tirais. J’ai eu de la chance de travailler avec un super armurier qui était à Paris. Il m’a appris toute l’histoire des armes avant de m’apprendre la technique et la précision. J’y ai pris goût. C’était hyper intense mais en résulte une super expérience. Et puis c’était une autre manière d’aborder le travail en tant qu’actrice. Il faut aussi préciser que c’était un entraînement à l’américaine, au sens où Mélanie Laurent nous a laissé un coach personnel qui était présent tout au long du tournage, avec des entraînements et un menu alimentaire particulier.


Ever : C’est quoi ton processus lorsqu’il s’agit de choisir un rôle ?
Adèle : Je ne me pose pas de questions et je ne me force pas à regarder tous les films que la personne a fait jusque-là. C’est complètement à l’instinct, c'est-à-dire que je lis le scénario et je vois ce que je ressens. Et après, si tout de suite ça me plait, j’essaie un peu de rentrer dans le cerveau du réalisateur, soit en regardant ses films, soit en le rencontrant. C’est finalement beaucoup avec le cœur que je choisis mes rôles. Il s’agit aussi d’une sensation avec une question que je me pose : “Est-ce que j’ai envie de suivre cette aventure ?”. Aussi je me demande si moi-même je serais allée voir ce film si je n’étais pas dedans. Parce que c’est aussi un plaisir égoïste de spectatrice.


Ever : C’était comment de bosser en duo avec Mélanie Laurent, qui était à la fois réalisatrice et actrice pour Voleuses ? 
Adèle : C’est assez excitant à voir. C’est une personne très entreprenante, qui est sur plusieurs projets à la fois, j’ai trouvé ça hyper inspirant. Le film était chorégraphié à fond grâce à la présence d’Emmanuel Lanzi et de toute une équipe de cascadeurs et on sentait Mélanie Laurent très inspirée : elle avait un truc un peu à la Tarantino tant elle aime les coupures de rythme, quand ça mélange de la vanne avec de l'action. Au global, je pense qu’elle s’est vachement inspirée de son travail aux États-Unis, au sens où elle prend un grand plaisir de mise en scène, elle fait un immense découpage, et c’est agréable à regarder; et puis même à jouer, parce que tu as du temps pour improviser et avoir une certaine liberté.


Ever : Il y avait une scène en particulier que t’avais terriblement envie de faire ?
Adèle : Oui, il y a une scène de bagarre avec notamment Félix Moati. Malheureusement, je me suis cassé le nez lors d’une répétition. Je n’ai pas évité une droite qui m’a causé une triple fracture du nez, ce qui fait que le tournage a été en sinistré pendant 15 jours. C’était un peu de ma faute : on a repris une chorégraphie et il y avait un nouveau pas que je n’avais pas du tout assimilé. J’ai demandé à répéter pour le rythme, et c’est là où j’ai reçu une droite. Je me suis fait opérer dans la foulée et on a repris le cours du tournage. On a dû, en conséquence, revisiter un peu la scène, qui gardait quand même toute son intensité. Sinon j’avais très envie de jouer avec Isabelle Adjani. 

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Ever : Dans Voleuses, ton personnage est tellement sérieux qu’il prête à la comédie, et c’est en phase avec tes derniers projets qui sont sortis ces dernières années, que ce soit Mandibules ou La Flamme. 
Adèle : J’adore la comédie. Ça m’a même étonné quand on m’a demandé : “Alors comme ça t’aimes bien la comédie ?”, alors que pour moi c’est ce que j’aime dans le cinéma, c’est de me dire que c’est un grand terrain de jeu en termes de visions de réalisation, de genres, de scénarios. J’ai eu la chance d’apprendre avec des maîtres comme le maître de l’absurde qui est Quentin Dupieux, le maître de l’improvisation et de l’écriture qui est Jonathan Cohen. C’est hyper dur parce que je consomme des comédies justement très premier degré comme la série Seinfeld, pas des comiques de situation. Jouer ce type d’humour demande exactement, voire plus, d’exigence que pour des films dramatiques. Et en même temps, il ne faut pas que ça devienne un plaisir égoïste, il faut que ça reste accessible. 


Ever : En octobre 2013, il y 10 ans, avec la sortie de La vie d’Adèle, tu “explosais” aux yeux du monde. Est-ce qu'à l'époque tu te voyais faire des comédies ? 
Adèle : Pour être honnête, je ne me voyais dans rien. J’avais un peu pur plaisir et un pur émerveillement.


Ever : Tu n’avais pas de fantasmes de rôle ? 
Adèle : J’avais un fantasme d’enfant, qui consistait à faire des films d’action, de tourner avec Martin Scorsese, mais je n’avais pas de plan de carrière ou de stratégie. Avec moi, la stratégie ça ne marche jamais. J’ai essayé, j’ai abandonné. Aujourd’hui, je mesure la chance que j’ai de pratiquer un métier que j'aime. Et jusqu’ici, j’essaie de faire les choses à l’instinct. 


Ever : Cette année a été exceptionnelle pour toi, que ce soit la sortie et le succès de Je verrai toujours vos visages de Jeanne Herry jusqu’à Voleuses sur Netflix. Comment est-ce que tu définirais 2023 ? 
Adèle : J’ai été trop chanceuse. Je suis sortie de Rien à foutre, j’ai fait Je verrai toujours vos visages, ensuite le moment où Le Flambeau est sorti. Puis il y a eu Le Règne animal de Thomas Cailley, et cela faisait des années, que je n’avais pas fait une lecture de scénario aussi puissante. Et enfin, le film de Gilles Lellouche, L’Amour ouf , qui est de loin l’un des plus beaux tournages de ma vie, un peu à tous les niveaux. 2023, c’est l’année de la chance. 


Ever : Est-ce que tu sens qu’au fil des années la perception que l’on a de toi en tant qu’actrice a évolué ?
Adèle : Je sens qu’on me laisse plus à l’aise sur des terrains plus vastes. La vie d’Adèle reste évidemment un classique qui peut soit effrayer soit exciter. Mais c’est vrai que tourner avec Jeanne Herry qui a des scénarios hyper maîtrisés, une connaissance de ses sujets ou Gilles Lellouche qui m’invite, c’est un honneur. 


Ever : Justement, comment s'est passé le tournage avec Gilles Lellouche ? 
Adèle : C’était exceptionnel. Je crois que c’est un film que Gilles a dans la tête depuis 15 ans, et aujourd’hui il savait qu’il avait enfin la chance de pouvoir l’exprimer comme il en avait envie après le succès du Grand Bain. C’est une grande histoire d’amour, c’est un film très difficile à genrer, une sorte de drama, comédie musicale, parce qu’il y a des formes d’onirisme, on a travaillé avec le collectif d’artistes de La Horde. 

C’est une histoire qui se déroule sur 12 ans et le film pourrait durer 3 heures, donc c’est une immense aventure. Le tournage a duré 18 semaines et j’ai eu une vingtaine de jours de présence sur le plateau. Face à moi il y a François Civil qui joue Clotaire, et d’autres immenses acteurs nous entouraient, comme Alain Chabat ou Raphaël Quenard. C’est un film sur l’amour sous toutes ses coutures : entre frères, d’une mère, que tu ressens qu’une fois dans la vie, c’est à dire tomber amoureux. Et en fait, c’est tout ce qu’on a ressenti pendant le tournage : on est tombé amoureux du film. On est tombé amoureux de nos personnages et Gille est quelqu’un qui, sur son plateau, réunit, c’est quelqu’un de très enjoué. 

J’avais vu ça de loin quand Leïla Bekhti travaillait sur Le Grand bain et à quel point elle était heureuse de se lever le matin pour aller sur le tournage du film. Ça a été similaire pour moi : en plein été j’ai dû quitter mes potes alors que j’étais en vacances pour aller tourner à Dunkerque sous la pluie avec Civil, Lacoste et Quenard, et je courais. Je savais que je retrouvais des partenaires de films géniaux, de trop bons humains. J’ai tellement aimé ce tournage que j’ai trop hâte de voir le film. J’ai une confiance absolue en Gilles. Je pense que le film va être à la hauteur du tournage, quand t’as donné autant, et je parle de Gilles, ça sera à la hauteur de ce que nous on a vécu.


Ever : C’était comment de travailler à nouveau avec François Civil, après l’expérience Bac Nord de Cédric Jimenez ? 
Adèle : Son personnage est à la fois un héros et un anti-héros. François a trouvé une profondeur très juste dans le rythme dont il s’est saisi tout de suite. Il a la technique et la liberté, chose qui est très rare, donc c’est un très bon partenaire de jeu.

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Ever : Tu as aussi tourné Planète B cette année, réalisé par Aude-Léa Rapin, avec un scénario qui fait saliver
Adèle : C’était ouf. Ça c’est vraiment un film expérimental, d’anticipation. Ça raconte l’histoire d’activistes qui se réveillent un matin et qui se retrouvent dans une prison virtuelle. C’était fou à tourner parce que ça amenait dans des seuils de folie qui étaient assez épuisants à jouer, et même à conscientiser. Au casting, il y a de jeunes acteurs, comme Léo Chalié, Paul Beaurepaire ou Souheila Yacoub. J’ai trop hâte de le voir. 


Ever : Tu vas bientôt avoir 30 ans : qu’est-ce qu’on peut te souhaiter ?
Adèle : De continuer à faire des rencontres de fou, de retravailler avec Jeanne Herry et de revivre des tournages comme celui de Gilles Lellouche. 


Ever : Et pour finir cet entretien, je te propose quelques questions en forme de références culturelles. Pour commencer, ton film ou ta série du moment ? 
Adèle : La dernière saison de Demon Slayer sur Netflix. 


Ever : Ton musicien du moment ? 
Adèle : Mustafa the Poet, qui a récemment sorti le morceau “Name of God”. J’écoute ce son tous les jours, il me calme. 


Ever : Ta lecture du moment ? 
Adèle : Naruto avec mon enfant. En ce moment, je suis très manga. 


Ever : Ton créateur du moment ?
Adèle : Le photographe Otman Q.

 

 


 

 

Crédits :


Stylisme — Marie Cheiakh @siwarcheiakh
Maquillage — Ruby Mazuel @rubymazuel
Coiffure — Mathieu Laudrel @mathieulaudrel
Ongles — Rachel Levy @rlevyrachdav

 

 

 

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